12 Mai 2010 MarketingQC – Les marques jouent le jeu
Je vous partage un long dossier produit par le magazine MarketingQC en avril 2010, dans lequel j’ai participé. Pour ceux qui sont intrigués par la publicité dans les jeux vidéo, je vous conseille fortement cette lecture.
Les marques jouent le jeu
Carine Salvi, MarketingQC
L’image de l’ado occupant ses temps libres avec des jeux vidéo était juste il y a 20 ans. Aujourd’hui, le geek prépubère a vieilli – âge moyen des adeptes de jeux vidéo au Canada : 38,5 ans – mais il prend toujours plaisir à s’investir dans un universvirtuel pour remplir des missions. Il n’aime pas jouer seulement à des jeux de tir à la première personne, comme Call of Duty. Il apprécie aussi Guitar Hero, car il peut y jouer avec sa belle-mère et son enfant de neuf ans.
Selon les dernières données de l’Association canadienne du logiciel de divertissement, près d’un foyer sur deux au pays (48 %) possède au moins une console, comme la XBOX 360, la Playstation ou la Wii. Aussi, les deux tiers des joueurs sont des hommes (64 %) et l’autre tiers, des femmes (35 %).
Mais avec l’arrivée de la Wii, qui a révolutionné la façon de jouer, il ne serait pas étonnant de voir encore plus de femmes – et beaucoup de grands-mamans – donner des coups de raquette… euh… de manette… lors d’un match de tennis virtuel! Bref, les consommateurs de jeux vidéo représentent une clientèle nombreuse et beaucoup plus variée que les tenues de Lara Croft. Les annonceurs ne semblent pourtant pas voir l’arc-en-ciel d’occasions d’affaires à leur portée. Car, qui dit jeux vidéo dit aussi publicité.
Phénomène encore relativement jeune et donc pas saturé, la publicité dans les jeux vidéo est une plateforme des plus dynamiques pour afficher des bannières traditionnelles, selon ses plus ardents défenseurs. Massive, une régie publicitaire acquise par Microsoft en 2006, se consacre uniquement aux jeux vidéo de la XBOX. C’est un des principaux acteurs du marché.
Selon son directeur général aux États-Unis, JJ Richards, les publicités intégrées dans les jeux ne sont pas intrusives et les joueurs les apprécient, a-t-il écrit l’automne dernier sur son blogue. «Nos études montrent que la majorité des joueurs aiment les publicités dans les jeux, car elles apportent un aspect réaliste.» Il précise : «L’annonce doit augmenter la valeur de divertissement de l’expérience globale du jeu, ne jamais nuire à la partie et ajouter du réalisme, ce qui veut dire qu’elle est intégrée à des endroits stratégiques où l’on s’attendrait à voir des publicités, comme partout ailleurs.»
Gestionnaire en solutions publicitaires dans les jeux, Jeff Dickstein est le grand patron de Massive au Canada. De son propre aveu, son rôle consiste d’abord à «évangéliser le marché» face aux possibilités qu’offre ce que les anglophones appellent le «in-game advertising». Parce qu’il y a encore beaucoup de défrichage à faire et de tabous à éliminer, surtout au niveau local, dit-il. Les petites entreprises pensent toujours qu’il faut débloquer un budget de 500 000 $ et s’y prendre un à deux ans à l’avance pour investir un jeu vidéo en ligne.
C’est peut-être vrai pour le placement de produits, par exemple intégrer une Porsche comme véhicule de course dans la matrice du jeu Need for Speed, mais c’est loin d’être le cas pour une campagne d’affichage, celle-là même qu’on utiliserait pour le Web. «Il n’y a rien qui puisse se faire en deçà de 10 000 $. Mais avec 15 000 $, on peut avoir une très belle campagne», soutient-il, précisant qu’on peut la mettre en branle en l’espace de deux ou trois semaines.
Les boutiques Microplay, spécialisées dans les jeux vidéo, l’ont compris. L’an dernier, les fanatiques de jeux vidéo ont pu apercevoir leur bannière dans des jeux de sports conçus pour la console XBOX 360 : NHL 10, UFC 2009 et Fight Night. L’entreprise a profité d’une excellente visibilité directement sur le tapis du ring de boxe de Fight Night. Les joueurs ne pouvaient ignorer la signature «Microplay : on rachète tes jeux».
Comme pour le Web, les jeux en ligne permettent de géolocaliser une cible. C’est donc dire que seuls les joueurs de la Belle Province ont été exposés aux pubs de Microplay.
Yannick Manuri, président de l’agence Espresso Média, a orchestré la campagne à l’automne dernier. Il se dit plus que satisfait des résultats. «Dans le cas de Microplay, nous voulions rejoindre des amateurs de jeux vidéo de 12 à 34 ans, ce qui était le cas avec ces trois jeux. C’était donc un placement parfait.»
Le fait que ce soit «parfait» signifie aussi, paraît-il, que le degré de concentration des joueurs est tel qu’ils absorbent mieux les annonces qu’ils croisent durant une partie. «Lorsqu’il joue, le public est très captif et passe beaucoup d’heures dans le même monde virtuel», explique Alain Tascan, directeur général d’Electronic Arts Montréal.
Jeff Dickstein abonde dans le même sens : «Nos études prouvent que les joueurs reçoivent bien la publicité dans les jeux à partir du moment où elle n’est pas en trop gros plan et est cohérente.» La plupart du temps, elle est insérée dans des panneaux-réclames.
Une étude de Massive indique par ailleurs que, pour près de deux adeptes sur trois (65 %), la publicité dans le virtuel ressort plus que celle des médias traditionnels. La mémorisation publicitaire s’en trouve ainsi renforcée.
À l’instar de Microplay, Future Shop a acheté de l’espace publicitaire dans des jeux tels que Guitar Hero 3, NHL 09 et Splinter Cell : Double Agent pour promouvoir son programme d’échanges de jeux vidéo. Encore une fois, il n’y avait pas meilleure façon de rejoindre les joueurs. «Stratégiquement, il était tout à fait pertinent d’afficher dans de tels jeux. Une forte connexion s’est établie naturellement avec notre clientèle cible, nous sommes absolument emballés d’avoir mené cette campagne», relate Nikki Hellyer, directrice du marketing de la chaîne de produits électroniques.
ll serait faux de croire que seules les entreprises évoluant dans le monde du virtuel peuvent tirer profit de leur présence dans ce jeune médium. Subway, McDonald’s, GM, Honda, les Forces armées canadiennes et la Fédération des producteurs de lait du Québec sont quelques exemples parmi d’autres de marques ayant risqué de s’imposer dans les jeux.
Cela dit, le lien se crée beaucoup plus facilement dans le cas des entreprises technologiques. Telus est ainsi une de celles qui envahissent le plus activement le marché des jeux vidéo. Et de trois façons plutôt qu’une. La plus simple et la plus populaire étant celle qui se sert des bannières. Depuis 2007, le logo de la société de Vancouver s’est retrouvé dans des jeux de la console XBOX, comme Guitar Hero, Need for Speed, NHL 10 et Tiger Woods PGA Tour 10.
Directeur général des communications et du marketing, Tee Tran soutient que percer les jeux vidéo en ligne fait partie de la stratégie d’affaires, à savoir être présent dans le plus de médias possibles. Telus s’associe surtout à des jeux de sports. «Nous nous impliquons beaucoup auprès d’associations et d’événements sportifs au pays, souligne M. Tran. Un jeu de hockey devient donc un site naturel pour qu’on y achète une bannière autour de la bande. Il est important pour nous que ce que nous faisons dans la vie se reflète dans les jeux.»
À défaut de se payer de l’espace publicitaire au Centre Bell, pour des raisons évidentes, Telus a pu annoncer sur la bande de la patinoire le jeu NHL 10… La portée n’est pas comparable, mais tout de même intéressante. De plus, pour renforcer «l’engagement avec la marque», Telus a créé un microsite à partir duquel les joueurs peuvent télécharger icônes et papier peint aux couleurs de l’entreprise pour personnaliser la page d’accueil de leur XBOX.
Les gamers ont-ils vraiment le goût de télécharger girafes, lapins et autres animaux que la compagnie de télécommunications met au premier plan? Il semble que oui. D’octobre à décembre 2009, environ 20 000 images ont ainsi été téléchargées.
Dernière offensive : insertion de logos et de publicités vidéo de 30 secondes dans un quiz virtuel pour la XBOX Live, 1 vs 100, un jeu qui a les allures d’une émission de télévision. «On enfonce le clou», admet sans ambages Tee Tran, informant de ses initiatives sur la console de Microsoft. Autre stratégie : celle des bannières vantant des concours pour gagner des téléphones cellulaires. Telus suit les tendances du milieu.
«La dernière mode, c’est la commandite : un grand panneau-réclame qui dit “textez à tel numéro pour gagner tel prix”», confirme Jeff Dickstein, ajoutant que les joueurs n’ont pas de mal à s’arrêter sur leurs aventures en ligne, le temps de noter le code du concours sur un bout de papier.
Cela dit, pour le manitou de Massive au Canada, l’intégration la plus réussie date de 2008 : une chasse aux trésors en neuf étapes intégrée dans le jeu Tom Clancy’s Rainbow Six : Vegas 2 pour promouvoir la sortie du film Tropic Thunder. Un jeu dans le jeu, quoi!
De son côté, le grand patron du studio montréalais d’Electronic Arts est particulièrement fier du partenariat signé aux États-Unis avec la marque Dr Pepper. Grâce à un code promotionnel figurant sur plus de 500 millions de bouteilles de cette boisson gazeuse, les consommateurs peuvent, depuis janvier, accéder à du contenu exclusif pour enrichir certains jeux d’EA. Par exemple, de nouveaux vêtements pour les personnages des SIMS. «Grâce à cette entente de plusieurs millions de dollars, nous sommes passés du concept exploratoire à de vraies stratégies publicitaires», indique Alain Tascan.
Comme quoi il y a encore de la place pour beaucoup d’innovations dans les jeux vidéo et autour d’eux. Il faut penser plus loin que l’affichage. «Les opérations qu’on voit aujourd’hui ne sont que le début de ce qui vient», lance M. Tascan.
Pourra-t-on bientôt acheter son téléphone cellulaire par l’intermédiaire des SIMS ou autres NHL10? Le directeur du marketing de Telus en doute. «Les consommateurs aiment bien voir le produit en magasin avant de passer à la caisse. Et il faut se demander si la technologie nous permettra de le faire», s’interroge M. Tran.
Si, pour Telus, les jeux vidéo font partie de la stratégie marketing, on ne peut pas en dire autant de la vaste majorité des annonceurs canadiens. «Le Web est encore nouveau pour les annonceurs, il ne faut pas commencer à leur parler de jeux vidéo! C’est rarement un média auquel ils pensent a priori.» C’est ainsi que Yannick Manuri résume la problématique. Le publicitaire estime que les annonceurs sont craintifs face à la nouvelle plateforme. Ils ont besoin de se faire rassurer, chiffres et études à l’appui.
Future Shop a peut-être investi le virtuel pour son service de jeux vidéo, mais le détaillant n’est pas prêt à annoncer d’autres services ou sa marque uniquement dans les jeux en ligne. Question de cible, nous dit-on.
Pénétrer un jeu vidéo est pourtant une façon de rendre sa marque «cool» auprès des jeunes, croit Yannick Manuri. Et dans le milieu de la pub, il est toujours bon de faire figure de pionnier par rapport à ses concurrents. Or, les annonceurs québécois prennent moins de risques que leurs collègues de l’Ontario. «À Toronto, ils sont plus ouverts que nous face à de nouveaux environnements», déplore le président d’Espresso Média.
Jeff Dickstein espère que la tendance se renversera. Celui qui a travaillé pendant des années chez Ubisoft Montréal connaît le côté innovateur des agences d’ici, mais voudrait qu’elles soient plus actives devant ce nouveau média.
Les agences comme les annonceurs d’ici ont intérêt à ne pas faire la sourde oreille devant le patron de Massive. D’ici 2014, le marché mondial de la publicité dans les jeux vidéo, déjà en croissance, franchira le seuil du milliard de dollars américains.
Nintendo dit non à la pub
Ubisoft le fait. Electronic Arts aussi. Par contre, Nintendo, fabricant de consoles, mais aussi développeur de jeux comme Mario Bros., a refusé tout net. Pas question pour la société japonaise d’imiter ses concurrents et d’inclure des publicités dans ses jeux. «Nous voulons que les consommateurs se concentrent sur le jeu, expérience première et principale, dit le porte-parole Matt Ryan. De toutes façons, la plupart de nos jeux se déroulent dans des univers fantastiques, et de la pub dans ce contexte n’aurait aucun sens.»
Au-delà des jeux vidéo…
Revolver 3 se spécialise dans l’advergaming (la publicité par le jeu). C’est son équipe qui a produit le microsite «Pète ta raquette» pour la Coupe Rogers. L’agence de publicité est particulièrement sensible aux jeux dans les médias sociaux, comme Farmville, qui permet à l’utilisateur de Facebook de cultiver des légumes et de nourrir des animaux de la ferme. C’est un concept inspirant, avec ses 83 millions d’utilisateurs dans le monde, dit Issam Heddad, stratège en marketing interactif. «Son modèle pourrait être repris pour promouvoir des produits ou une cause», croit-il.
L’agence de créateurs est aussi emballée par la «réalité augmentée», un concept qui permet de donner vie en 3D à des objets inanimés. Par exemple, au magasin, un consommateur peut promener sa boîte de Lego devant une caméra pour faire apparaître le modèle dans sa version assemblée en 3D. L’expérience, qui a été tentée en Europe, a séduit les consommateurs.
Et que dire des «possibilités infinies» qu’offrent les nouvelles plateformes comme l’iPad! «On peut très bien imaginer que notre client Fido place une pub dans un quotidien formaté pour la tablette et que le lecteur clique sur l’annonce pour acheter directement un téléphone», envisage Stéphane Dumont, président de Revolver 3. Des possibilités infinies, oui.
St-Hubert ne l’avait pas digéré
Autres temps, autres mœurs. En 2002, alors que la publicité dans les jeux n’en était qu’à ses balbutiements, Les rôtisseries St-Hubert se sont retrouvées gratuitement, mais contre leur gré, dans la démo du premier Splinter Cell, qui relate les aventures d’un agent secret. Les développeurs du jeu d’Ubisoft, à Montréal, avaient voulu faire un clin d’œil aux trop nombreuses fois où ils avaient commandé du poulet dans des boîtes en carton jaune. Ils avaient donc inséré, sur un camion, un logo ressemblant étrangement à celui de la populaire chaîne québécoise.
Après discussion avec le studio de jeu, il avait été convenu de retirer la publicité déguisée, ce qu’avec le temps a regretté Jean-Pierre Léger, président et chef de la direction du groupe de restauration. «Aujourd’hui, on s’alarmerait moins. On poserait plus de questions», confirme la porte-parole Josée Vaillancourt. La version finale de Tom Clancy’s Splinter Cell a été commercialisée sans aucune référence au maître québécois du poulet rôti. Et elle s’est vendue à… six millions d’exemplaires dans le monde. Quelle belle pub cela aurait été!
Cet article a paru dans l’édition d’avril 2010 de MARKETING QC.